« Le malade s’en sortira mieux avec un proche aimant »

Diacre et médecin addictologue en Vendée, François Pépin accompagne les personnes dépendantes de l’alcool, et leurs familles, qui souffrent aussi de cette maladie.

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Comment définissez-vous l’alcoolisme ?

Est malade de l’alcool celui qui ne maîtrise pas sa consommation. Il termine vite son verre, puis la bouteille devant lui, car il ne peut plus s’arrêter. La maladie de l’alcool est, en effet, avant tout liée à un problème de dépen-dance. Sinon, les doses à ne pas dépasser sont connues. Il faut boire moins de dix verres par semaine et moins de deux verres par jour. Attention, la taille du verre compte dans ce calcul : pour le vin, il ne faut pas dépasser un verre à 13 degrés, pour la bière un verre de 250 centilitres à 5 degrés, et pour le cognac, whisky ou pastis, une « dose de bar ».

Vous parlez de « malade de l’alcool » plutôt qu’« alcoolique », pourquoi ?

Je n’utilise pas le mot « alcoolique », car cette maladie est multifactorielle, et le mot stigmatisant, mais « malade de l’alcool ». Comme je ne dis pas « cancéreux », je préfère parler d’une personne atteinte d’un cancer du sein ou du larynx. Le terme alcoolique réduit la personne à sa maladie, au lieu de s’intéresser à elle tout entière. Nous sommes heureusement loin du temps où les médecins parlaient d’« alcoolo ».

Pourquoi boit-on ?

Si on boit, c’est que ça fait du bien. L’alcool a quatre vertus immédiates. C’est un antidépresseur (contre la dépression), un anxiolytique (contre l’anxiété), un désinhibiteur (contre la timidité) et un antalgique (contre la douleur). Hélas, au fur et à mesure que la dépendance évolue, les effets s’inversent, et les malades de l’alcool deviennent angoissés et dépressifs. La prise d’alcool libère la dopamine – la molécule dite « du plaisir » produite par certains de nos neurones. En contre-partie, elle demande au cerveau de continuer à consommer. L’envie de boire devient alors permanente et douloureuse, et peut engendrer beaucoup de violence.

Certains sont-ils plus enclins à tomber dans la dépendance?

Certains boiront un verre et tomberont dans l’alcool, d’autres jamais. La maladie d’alcool s’appuie sur la rencontre d’une personne avec le produit. Elle se développe notamment sur un terrain génétique. J’interroge toujours mes patients sur la relation à l’alcool qu’entretiennent leurs parents, grands-parents, oncles et tantes. Pour 80 % d’entre eux, il y a au moins un malade de l’alcool dans leur famille. D’autres facteurs prédisposent à cette dépendance : les situations psycho-logiques, comme les divorces et les deuils, les maladies psychiatriques (troubles bipolaires, schizophrénie…) et les habitudes familiales ou sociales. Lorsque ces raisons croisent le facteur génétique, la dépendance peut s’installer en quelques semaines. Je voudrais ajouter que la maladie touche tous les milieux sociaux et ceux qui s’en sortent le plus facilement sont souvent les personnes les plus simples. Les cérébraux cherchent souvent à contourner la règle, l’abstinence.

Des catégories socio-professionnelles sont-elles plus touchées ?

Oui, certaines professions poussent à boire. Les métiers du bâtiment sont à risque, car l’alcool est utilisé pour se réchauffer lorsqu’on travaille à l’extérieur. En fait, cette impression est due à l’alcool qui dilate des vaisseaux, mais la personne fi nit par se refroidir, et c’est ainsi que meurent parfois les sans-abri. Les professions concer-nées sont également celles où le stress est très présent. Par exemple, chez les médecins, les restaurateurs qui subissent le « coup de feu », ou les commerciaux fi xés sur le résultat. Quant aux jeunes, notamment dans les écoles de commerce, ils s’alcoolisent pour s’alcooliser – c’est
le binge-drinking. Mais l’alcool n’est pas fait pour ça, ni pour résoudre ses problèmes. La prise d’alcool doit rester conviviale. Sinon on s’y habitue, on augmente les doses et on risque de devenir dépendant.

Les femmes boivent-elles moins que les hommes˜?

Dans mon cabinet, je vois un peu plus d’hommes que de femmes, mais la boisson féminine se démocratise. Elles boivent différemment, cachant mieux leur dépendance.Un mari a mis trois ans à se rendre compte que son épouse était alcoolo-dépendante !

Existe-t-il des médicaments˜?

Oui. Le Baclofène, notamment, a été porté au pinacle par les médias, malgré des effets secondaires inquiétants. Les médicaments sont souvent prescrits trop tôt. Personnellement, je délivre avec beaucoup de prudence de l’Espéral, une fois que le patient a clairement déclaré sa volonté d’arrêter tout alcool. Sinon, je l’expose à une rechute et à une culpabilité mortifère, et je n’ai pas choisi ce métier pour cela. Les médicaments aident le patient dans sa démarche, mais ce ne sont pas eux qui guérissent. En alcoologie, il n’existe aucun médicament magique.

François Pépin

Médecin généraliste et addictologue, il reçoit désormais majoritairement une clientèle d’addictologiedans son cabinet de médecine générale à La Roche-sur-Yon (Vendée). L’évêque de Cambrai a confi é à ce diacre la mission de « prévention et accompagnement des malades de l’alcool ».