Face au fléau de l’alcoolisme, souvent tabou en famille ou en société, des mouvements accueillent ceux qui y sont confrontés, comme celui des Pèlerins de l’Eau vive, qui réunit des personnes dépendantes de l’alcool et leurs proches. Reportage, témoignage et entretien avec un addictologue.
Avec l’autorisation de FAMILLECHRETIENNE – février 2024
Dans la salle paroissiale de l’église Saint-Hilaire, en Vendée, ce soir de janvier, dix-sept personnes s’installent autour d’une table en U. Rien n’y est posé, sinon un paquet de madeleines et la photo d’un homme, encadrée par deux petites bougies. Il s’agit de David, pèlerin abstinent depuis plus de quinze ans, mort brutalement en décembre, à 52 ans. Malgré sa tristesse, Marielle, sa compagne, les traits tirés, est venue. Se décrivant comme « abstinente chaotique », elle vient trouver ici du courage « pour ne pas flancher ». Les uns et les autres lui répondent : « Merci, Marielle, d’être là, on est avec toi et on essaie de te sou-tenir », assurant cette mère de famille de leur présence et de leur prière.
Le groupe des Pèlerins de l’Eau vive se réunit une fois par mois pour échanger et prier. Issus de milieux sociaux différents et d’âges variés, ils partagent la même misère : l’alcool. Tous ne sont pas tombés dedans. « Il peut y avoir aussi un proche, que nous appelons “co-dépendant”, et des sympathisants », résument Martine et Michel, un couple fidèle du mouvement. Quand l’alcool s’invite dans une maison, il engendre des ravages autour de lui. Conflits, divorces, ruptures familiales…
« ABSTINENTE HEUREUSE » DEPUIS CINQ ANS
Certains arrivent seuls. C’est le cas de Claire, qui fait une heure de route pour assister aux réunions. « Abstinente heureuse » depuis cinq ans, elle se sait « malade à vie », et le groupe est pour elle une seconde famille. « Vous m’aidez tellement », annonce-t-elle, répondant d’emblée au thème de la soirée : « Comment se protéger ? ». En plus de participer au groupe, elle scrute les étiquettes des aliments qui pourraient contenir le « poison » et évite le parfum.
Plusieurs personnes se joignent depuis peu aux Pèlerins, comme cette femme au chemisier imprimé élégant, qui témoigne de sa culpabilité vis-à-vis de son fils adopté, tombé dans l’alcool. Les nouveaux venus côtoient les anciens, rassemblés autour de François Pépin, addictologue et diacre, aumônier national du groupe (voir entretien p. 24-27). Il anime humblement la séance, distri- buant la parole ou répondant aux demandes de conseil.
La soirée démarre par un chant de louange, la lecture de l’Évangile du jour, puis du livret Chapelet d’intercession. Il propose des méditations et une prière, jalonnées de Je vous salue Marie. Les médi-tations sont lues à tour de rôle par les pèlerins, puis ceux qui le souhaitent énoncent des intentions. « Pour ma fille, qui est dans un état pitoyable, je ne sais plus que faire pour elle… »
UNE GRANDE LIBERTÉ DE TON
Chacun exprime ses préoccupations. Isabelle, atteinte de la maladie de l’homme de pierre, évoque en toute simplicité le risque de perdre la main qui lui reste. Le groupe l’entoure d’un regard, d’un geste, d’une promesse de prière. On sent une grande liberté de ton. Quelques-uns s’expriment sur le thème de la soirée. « Se protéger, c’est savoir dire non », lance Isabelle, appuyée par plusieurs personnes. Ce n’est pas encore le cas de Benoît, jeune homme visiblement alcoolisé. Malgré ses interventions intempestives, le groupe le recadre, toujours gentiment. Une femme lit sur le livret : « J’ai honte de moi, mais je sais que Tu ne me juges pas et que Tu ne me condamnes pas sans m’offrir en même temps ta miséricorde. » « Le non-jugement, il n’y a qu’ici que je le trouve », confirmera, plus tard, le jeune homme alcoolisé.
Comment se protéger ? Les protections évoquées par les uns et les autres portent sur les moyens humains : accep-tation de la maladie, abstinence d’alcool, suivi médical, participation aux Pèlerins de l’Eau vive ; mais aussi les moyens spirituels, notamment l’Eucharistie, le sacrement de récon-ciliation et la prière.
Certains attribuent leur guérison de l’alcool directement à Dieu, comme Michel, qui revient sur son histoire : « J’étais alcoolisé depuis vingt ans jusqu’à ce que je me confesse, lors d’un pèlerinage auquel j’ai failli ne pas venir, étant trop alcoolisé ce matin-là… “Que veux-tu que le Seigneur fasse pour toi ?”, m’a demandé le Père Denis. J’ai répondu : “Que je sois guéri de l’alcool.” J’ai alors ressenti une grande paix intérieure et je n’ai plus retouché une goutte. Depuis, j’accepte toutes les missions que le Seigneur met sur ma route. Je suis devenu sacristain. Je m’occupe notamment des burettes… sans avoir envie d’en boire le vin ! »
NE PLUS TOUCHER UNE GOUTTE D’ALCOOL
Christiane prend sa suite, se défi nissant comme « co-dépendante » de son fi ls malade, et « abstinente engagée », car tous les membres du groupe, malades ou co-dépendants, s’engagent à ne plus boire une goutte d’alcool, par solidarité et charité. Les Pèlerins de l’Eau vive ont été sa bouée de secours, alors qu’elle supportait mal la lente dégradation physique et psychologique de son enfant. « Guidée par l’Esprit Saint, j’ai découvert ici l’amour vrai, qui m’a permis d’accepter sa maladie, et de dire : “Je t’aime” à mon fi ls. »
Le mouvement n’a néanmoins aucune visée prosélyte. Sébastien, d’ailleurs, n’est pas baptisé, même si cet ancien enfant placé croit « en certaines choses ». Il a rencontré Christiane sur un banc de jardin public, canette de bière à la main. De fi l en aiguille, elle l’a invité « aux Pèlerins ». Il confi e être à la rue, hébergé temporairement dans un garage de paroissiens. S’il a diminué de moitié sa consommation journalière, il avoue que « c’est encore compliqué », et remercie le groupe de son écoute.
Il est temps de se séparer. François Pépin rappelle la date des prochaines rencontres et du pèlerinage à venir, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, où repose saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Christiane propose de faire tourner une cagnotte pour que Marielle puisse s’offrir une plaque mortuaire avec la photo de David.
Ce soir, ces Pèlerins de l’Eau vive se coucheront probablement, comme le mouvement les y invite, en buvant un verre d’eau avant de réciter un Notre Père et la prière de l’association : « Je me décide à préférer aujourd’hui Jésus-Christ, mon Sauveur, à mon alcool. »
Olivia de Fournas