Article de Église A Yon, N°37, Février 2021
Il y a ceux qui sont malades de l’alcool, et ceux qui vivent avec. Pour tous, c’est l’enfer. Pourtant, de très nombreuses personnes, atteintes d’alcoolisme, s’en sortent ! L’entourage joue un rôle déterminant. Mais pour jouer le bon rôle, encore faut-il entendre les bonnes paroles, accomplir les bons gestes… Lucienne et Luigi Canale sont passés par ce chemin.
Responsable des Pèlerins de l’eau vive dans la région lyonnaise, ils partagent leur expérience.
« Plutôt que de dessiner des traits sur les bouteilles de votre mari ou de votre enfant, entourez-le d’amour ! « , commence Lucienne Canale, membre du bureau national des Pèlerins de l’eau vive, association reconnue par l’Église catholique. Quand la personne vivant avec un malade alcoolique prend conscience de la situation, la maladie est souvent déjà bien installée… Alors par amour, – et aussi par peur et par culpabilité ! -, on est tenté de sermonner, de contrôler les quantités consommées… On devient alors un parfait accusateur ! Et on enfonce alors encore un peu plus le malade alcoolique, qui se cachera davantage, qui fabulera, qui perdra le peu d’estime qui lui restait…Fausse route ! Il faut aimer d’abord ! Créer un environnement sécurisant, profiter des instants où le malade est sobre pour multiplier les paroles valorisantes, et, au cœur des crises, limiter autant que possible les violences verbales et patienter, dans l’espérance, jusqu’au lendemain… pour avoir une parole de vérité et poser des mots sur ce qui a été vécu.
SANS PAROLE DE VÉRITÉ, PAS DE PRISE DE CONSCIENCE
C’est ce dont témoigne Luigi Canale, qui a lui-même été atteint d’alcoolisme dans les années 80. Son faible niveau d’instruction et la simplicité de son éducation, comme il le constate lui-même, lui donnent peut-être davantage de liberté pour oser une parole vraie, qui transperce le cœur. « Un jour, une femme victime des violences liées à l’alcoolisme de son mari nous appelle, Lucienne et moi, pour le rencontrer, sans l’avertir. On accepte d’y aller. Alors qu’il me demande pourquoi on est là, je lui réponds : Ta femme vient prier avec nous, et m’a dit que tu bois. Il me dit alors : Quand je vais mourir vais-je revoir mes parents ? Je lui réponds aussitôt : Non ! Tu bois ta paye, tu tapes tes enfants. Tu n’iras pas au paradis. Il répond : Je te crois ! Que dois-je faire alors ? Et moi de lui répon- dre : Faut plus boire. Prends les bouteilles, et jette-les ! ». La parole est osée, l’aplomb n’est sans doute pas à reproduire en toutes circonstances, mais pour cet homme cela a fonctionné. Alors que sa femme ne voulait pas qu’il jette les bouteilles par peur de subir des accès de colère en cas de manque, son mari décide de tout jeter. Il n’a plus jamais bu… « J’ai contribué à sortir Archangelo de l’alcool, alors que moi-même, j’y étais encore empêtré ! Ce n’est que quelques années plus tard, en aidant les autres, que j’ai réussi à m’en sortir aussi », complète Luigi Canale. Au-delà de cet exemple surprenant, Les Pèlerins de l’eau vive savent par expérience que la guérison n’est possible que si le malade, épaulé par son entourage, n’est pas maintenu dans une situation de déni et d’évitement. Le mal est à regarder en face. Il doit être nommé. Le malade peut alors entrer dans un processus de soin, tenter une première cure de désintoxication, et ne pas craindre de devoir recommencer. Car à chaque fois, le malade prend conscience qu’il parvient à rester abstinent un certain temps. Cette espérance, ajoutée à la présence aimante de son entourage, peut lui redonner la force de recommencer
une nouvelle cure, jusqu’à ce qu’un jour, ce soit la dernière !
POUR LES RÉFRACTAIRES AUX CURES DE DÉSINTOXICATION, LES GROUPES DE PARTAGE
Les Pèlerins de l’eau vive est une association qui existe depuis 40 ans. Elle a été créée par Marion Cahour, médecin dans la région nantaise, dont le père est décédé d’alcoolisme alors qu’elle avait 14 ans. En pèlerinage à Lourdes, elle sermonne une patronne d’hôtel alcoolisée. Celle-ci la rabroue et lui demande plutôt de prier pour elle. Frappée, elle écrit sur une pancarte : « Jésus Sauveur, guéris-nous de l’alcool, merci. », et processionne avec ce message. Les Pèlerins de l’eau vive sont nés. Dans les années 2000, le père Jean-Marie Jouham, qui en a été l’aumônier national, a travaillé à la reconnaissance aux niveaux civil et canonique de cette association, qui réunit environ 500 membres dans une quarantaine de villes de France, et aussi en Pologne, en Suisse, Canada, Belgique, Espagne.
À l’occasion de rencontres hebdomadaires, entre 15 et 25 personnes se réunissent chaque mardi soir à 19h (hors période de crise…) à la chapelle Saint-Thomas à Fourvière et le mardi après-midi à 15h à l’église Saint-Jacques des Etats-Unis à Lyon 8e. Il s’agit aussi bien de malades que de « co-dépendants », c’est-à-dire ceux qui vivent avec une personne malade d’alcoolisme. Des personnes, non touchées par l’alcoolisme, viennent prier. C’est le cas d’Evelyne Dalphin : « je suis solidaire de la souffrance de ces malades et de leurs familles. car j’ai un fils malade depuis l’âge de 16 ans. C’est une manière de compatir à leur souffrance, et de partager la mienne au sein du groupe ».
« CE SONT LES CO-DÉPENDANTS QUI FRAPPENT EN PREMIER À NOTRE PORTE »
Souvent, les co-dépendants sont les premiers à franchir le cap et venir chercher de l’aide. Ils participent à quelques réunions et parviennent souvent à convaincre la personne malade d’alcoolisme à les rejoindre. Ces partages permettent à tous de briser l’idée selon laquelle un malade alcoolique est responsable de sa consommation. Autre enjeu, sortir de l’isolement et partager dans un cadre bienveillant son expérience. L’association, qui accueille aussi bien des croyants que des non-croyants, propose aussi quelques rituels, qui viennent conforter la démarche des malades et de leurs familles. Tous boivent littéralement un « verre d’eau vive » et récite une brève prière chaque jour. La démarche peut amuser ou surprendre. Force est de constater qu’elle marche ! Autre étape salvifique : le pèlerinage annuel à Lourdes. C’est bien en ce lieu que des miracles se produisent et les causes que l’on croyait perdues trouvent une issue favorable.
Bien sûr, c’est plus facile si l’on accepte de croire que Dieu peut nous sauver, qu’à l’image de Jésus-Christ, nous pouvons nous aussi ressusciter, là où nous sommes et aujourd’hui !