ALCOOL & DIGNITE
Dr André Bonnefond – Paris
Pèlerinage des Pèlerins de l’Eau Vive – 7/04/2018
d’après les notes d’Elisabeth
C’est d’un sujet très à la mode dont le Dr André Bonnefond veut nous parler !
Il a été responsable du service d’alcoologie de l’hôpital d’Eaubonne pendant 20 ans.
Il nous rappelle que l’alcool altère autre chose que le corps physique. Pour s’en sortir, il faut un triple accompagnement :
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Accompagnement médical
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Accompagnement psychologique
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Accompagnement par les associations
Arrivé à la retraite, le Dr André Bonnefond a rejoint l’association « Aux Captifs la Libération », à la rencontre des personnes de la rue. Il y va « les mains vides » pour faire émerger le désir de la personne à sortir de la rue.
A ce titre, il est intervenu sur le thème « alcool dans la rue » (conséquences de l’alcool sur le corps et sur le comportement des personnes)
Il nous dit qu’il « appartient à l’espèce humaine et qu’il est donc fragile, comme toute personne ! »
Chacun est un être et on ne peut décider pour les autres …
Le phénomène de rejet, dont sont victimes nombre de malades de l’alcool, est déjà un aspect de cette question de la dignité ; il entraîne isolement, honte et repli sur soi … Il soulève la question du regard porté sur les personnes, regard qui permet à la personne de se redresser, de se rétablir.
Qu’est-ce que la dignité ?
C’est un concept assez récent : il n’apparaît pas sur les frontons de nos mairies aux côtés de « liberté, égalité, fraternité » … C’est un concept qui fait qu’on nous respecte : nous n’avons pas à être traités comme un objet, comme un moyen. L’autre ne peut disposer de notre dignité. Cf. Levinas : « c’est par mon être que je suis digne. » Tout homme est porteur d’une dignité absolue, intangible, ne dépendant pas de sa réussite ou de ses capacités.
Il s’agit là d’une vérité universelle, très à la mode en ce siècle !
Nous sommes créés dignes : selon l’inspiration de Kant, la dignité est permanente à l’espèce humaine. Elle englobe toutes les dimensions de la personne. C’est l’autre qui atteste ma dignité, par son regard. Selon Paul Ricoeur, « c’est une valeur qui n’a pas de prix. »
Elle s’exprime par le regard et la parole, la rencontre.
La notion de dignité entraîne des conséquences : qui dit dignité dit promotion de l’humain, respect de la personne dans toute sa singularité ; une personne digne ne peut pas être exploitée : nous devons protéger les plus faibles ;
Cette valeur est présente dans la Doctrine Sociale de l’Eglise : : il y est question du non-abandon de la personne en danger. Nous sommes des êtres incarnés : c’est par notre corps que nous communiquons avec les autres ; ainsi la dignité implique-t-elle de prendre soin de notre corps. Ce corps ne nous appartient pas ; nous devons en prendre soin ; or l’alcool met en danger notre corps …
Y a-t-il des moments où l’on peut perdre sa dignité ?
La dignité est inaltérable, acquise : d’un point de vue subjectif, on peut avoir le sentiment de perdre sa dignité dans certaines circonstances
Le déni si fréquent, un blocage qui fait partie du parcours du combattant alcoolique, peut trouver une explication dans ce sentiment.
Alcool et comportement
« Il/elle fait des ‘conneries’ …quand on boit, cela se termine en bagarre … »
L’alcool est un produit psychoactif ; il est en vente libre mais c’est une substance à haut risque. Le danger est là dès lors que l’on trouve dans l’alcool un produit qui modifie le comportement.
L’alcool donne l’illusion de faciliter les rencontres ; mais il peut aussi être un agent destructeur : « c’est un buveur ! Que voulez-vous en tirer de bon ?! »
Le corps médical s’intéresse à la dimension physique (voire psychologique) mais peu aux conséquences sociales, sur la dignité notamment : c’est au XIXème siècle que l’on voit la première apparition selon laquelle l’alcool entraînerait une déchéance …
Les ivresses répétées entraînent des troubles du comportement que la société réprouve : des discours violents, la perte de toute décence, la multiplicité des conquêtes amoureuses … ; l’ivresse engendre aussi des comportements violents, surtout dans le milieu sportif ou vis-à-vis des personnes les plus faibles, notamment les femmes..
Le schéma « alcool-ivresse-honte » est bien connu ; la culpabilité est là, d’autant plus qu’il y a eu des essais d’arrêter de boire et des échecs : la personne a le sentiment « d’être nulle » !
beaucoup de manifestations sous alcool rendent peu crédible la parole de l’alcoolique : plus de promesses, il faut passer aux actes !
Différence homme-femme
La femme se cache souvent … sous alcool, on perd « des choses » …
Le malade de l’alcool produit des dommages contre lui-même et contre son entourage ; on parle de « sabotage » …
Le regard de l’entourage peut être dur : « j’aurais préféré que tu fasses le trottoir plutôt que tu sois alcoolique ! » (un témoignage entendu de la part du mari)
Cela renvoie au petit Prince (Antoine de Saint-Exupéry) : « les grandes personnes sont très bizarres … »
Cette maladie atteint toutes les couches de la société.
L’entourage porte un regard d’incompréhension, de honte …
Le malade a un regard sur lui-même quand il est lucide ; il ne faut pas le déresponsabiliser ! Il voit tout ce qu’il a perdu, a le sentiment d’être rejeté, subit une perte du lien.
On ne perd pas sa dignité mais on peut perdre des liens, ne trouvant plus sa place dans la famille, au travail, dans la société.
Il y a une forte carence de l’estime de soi : on peut la retrouver dans le parcours de rétablissement …
Le malade a un sentiment de souffrance physique, psychique et spirituelle. Lorsqu’il est conscient, il a une idée de la réalité : il a le sentiment de ne pas être à la hauteur, de perdre sa dignité, plus un sentiment d’exclusion ; on parle de « handicap social ». Il se considère comme étant incapable de s’en sortir et est conscient de sa dégradation. Il y a comme un tableau noir : il ne peut s’en sortir seul. Mais il y a un avenir ! la personne doit « désarmer » et entrer dans un réseau d’aide et de soutien. Il n’y a pas d’avenir sans espérance !
Il faut toute une mobilisation autour de la personne : selon la théologienne Véronique Margron, « l’entourage a une fonction de vigilance et d’alerte ». Il est appelé à être disponible, à changer de regard, à être dans une relation d’aide : aider la personne malade à retrouver confiance, cela passe par une écoute, une bienveillance, une attention …
C’est souvent après un chemin de croix que les personnes vont demander de l’aide … Il faut assumer son passé et là l’aide des associations est précieuse ! cf. : l’enfant qui jouait avec la lune, de Lucien (éditions Salvator) : il a le déclic grâce aux Alcooliques Anonymes.
Le malade doit retrouver le souci de prendre soin de lui-même : le soin du corps revient vite après l’arrêt de l’alcool ; mais il faut aussi retrouver l’estime de soi : pour bien penser aux autres il faut passer par soi … « s’aimer humblement, être l’ami de soi-même, s’apprécier à sa juste valeur … être ajusté à soi, aux autres … être aimable … » (Agnès Zielinski)
L’estime de soi se cultive, s’apprend … « s’aimer humblement soi-même » (Georges Bernanos)
Se rétablir de l’alcool est une sacrée chance avec un cheminement propre à chacun : « non, tu n’es pas condamné par ton sentiment d’indignité ! »
La dignité est permanente, inoxydable mais il y a un sentiment qui fait qu’on ne sait plus où on en est par rapport à cette réalité.
L’entourage doit être vigilant mais c’est la personne elle-même qui a le travail à faire.
L’aide des mouvements permet de retrouver le désir de vivre, le désir de s’accepter, permet de se rétablir (cf. un mouvement récent en santé mentale) ; il y a une dimension spirituelle au rétablissement : la prière est importante. Quelqu’un qui se rétablit relève d’une « résurrection » : le malade passe de la mort à la vie, il retrouve toute sa dignité.