Alcool et addiction

La maladie alcoolique…

Enseignement donné au pèlerinage de St Laurent sur Sèvre le 5 octobre 2014

Conversion et maladie alcoolique

Il semble évident que la démarche de conversion qui est pour nous une démarche chrétienne, résonne de manière étonnante pour nous qui sommes aussi malades de l’alcool, dépendants d’une manière ou d’une autre.
D’un point de vue strictement médical, la démarche d’un malade de l’alcool est avant tout une démarche de conversion, l’aboutissement d’un désir profond de changement, tant en ce qui concerne la personne alcoolo dépendante que son entourage.

L’origine du mot conversion est le verbe latin convertere « changer de route ». Le malade de l’alcool reste longtemps avec ses habitudes : boire seul ou avec tel ou tel compagnon de beuverie au bar ou à la cave, boire à tel ou tel moment, souvent à la fin d’une journée marquée par les tensions du travail, boire pour accepter ce qu’il y a d’inacceptable dans notre vie, une vie conjugale et familiale difficile, un deuil insupportable.
Puis vient le moment de la prise de conscience qu’il y a un problème, que nous ne vivons pas ce que nous souhaiterions vivre. Avec l’aide d’un accompagnateur, médecin, psychologue, personne d’un mouvement d’anciens buveurs, Pèlerin de l’Eau Vive ou autre, le malade réfléchit et analyse ce qu’il vit, ce qui a pu déclencher l’habitude de boire, puis de boire trop, enfin de boire d’une manière qui n’est plus contrôlable : ce que nous appelons l’alcoolo-dépendance.

Rien ne sert de trop s’appesantir sur ce qui a été vécu de difficile, de douloureux, aller de l’avant est bien plus constructeur. Il me semble plus important de savoir pourquoi on veut s’arrêter de boire plutôt que de savoir pourquoi on s’est mis à boire.   Même si nous ne sommes pas dans le même domaine, nous rejoignons dans la maladie alcoolique ce que nous regrettons dans la vie qui, parfois, s’apparente à ce que nous appelons le péché. Bien sûr, un jour ou l’autre, il faut bien revenir sur ce passé qui nous a fait tant souffrir, et qui a tant fait souffrir les autres. Mais une fois ceci reconnu, il faut savoir tourner la page.
La plupart des patients ayant une fois été contrôlés positifs par la gendarmerie, mais le plus souvent n’ont tué personne. La culpabilité est grande quand l’alcool provoque blessures voire décès. Et pourtant, l’accompagnement doit permettre au patient de se libérer de ce qui a pu se passer.

   Après tout ce temps, qui peut être long vient l’heure décisive du choix, de la prise de décision. Il n’y a pas de vie digne de ce nom sans choix, sans prise de décision à un moment ou à un autre de nos vies.
Cette prise de conscience souvent brutale, c’est ce que de nombreux malades de l’alcool désignent comme         le« déclic ». Il est long à venir : souvent plusieurs années, déclenché par une séparation, l’intervention de la gendarmerie, un accident. Lorsque les personnes se font accompagner, c’est bien souvent le « ras le bol », l’idée que « cela ne peut plus durer », que « ce n’est plus une vie », la perception de la perte totale de la liberté.
Le déclic est le plus souvent suivi de plusieurs rechutes. Il faut absolument parvenir à ne pas vivre ces rechutes comme des échecs, mais comme un moyen d’avancer dans la démarche de soins. Les rechutes sont le moyen de mieux se connaître, de mieux comprendre la nécessité du changement, de parvenir à prendre la décision finale de l’abstinence.

Je ne reviendrai pas sur le processus du deuil qui fait se suivre une phase de révolte puis de dépression et enfin de reconstruction. Avant la phase de reconstruction durant laquelle le nouvel abstinent vit la joie de la conversion, intervient une phase de vide : « Je ne bois plus, mais je ne sais plus quoi faire, je m’ennuie, je suis seul.»

Qu’est-ce que l’ennui ? c’est un peu l’angoisse du vide, celle que vit l’adolescent qui ne sait plus jouer comme un enfant mais qui est encore incapable de prendre les responsabilités d‘un adulte. C’est aussi l’angoisse de la solitude, car bien souvent l’alcool a fait le vide autour de celui ou de celle qui buvait. Celui ou celle qui se convertit à une vie sans alcool ne peut guère faire l’économie de ces moments douloureux.
L’ennui exacerbé peut être lié à une dépression, qu’il nous faut alors soigner.

« L’ennui, nous dit Véronique Margron dans une conférence de carême à Metz en 2014, vient nous instruire du temps qui passe, du corps qui pèse, du vide où se murmurent les questions de l’existence » L’ennui nous permet un vrai questionnement sur ce que nous sommes, sur ce que nous désirons vivre. Et en ce sens, il est sans doute inséparable de la conversion, que ce soit au point de vue de la maladie alcoolique ou du point de vue spirituel. En ce sens, il est aussi inséparable d’une solitude nécessaire.
Il y a peut-être une relation à faire entre cette phase d’ennui, qui est un peu une phase de mort et le plongeon du baptême, qui est une phase de mort à soi-même, suivi d’une vie nouvelle dans le Christ.

Ne pas laisser les enfants s’ennuyer, c’est prendre le risque de futures addictions. Les enfants ont besoin de s’ennuyer et d’apprendre quoi faire de cet ennui.
Changer de route, c’est aussi décider de se réconcilier avec soi-même. C’est une démarche difficile qui demande souvent une aide extérieure. Accepter ce qui a été vécu, dépasser une culpabilité qui enfonce bien plus qu’elle ne fait monter. Il faut essayer d’en faire quelque chose de créateur, non pas réducteur.

Va venir le temps d’une nouvelle naissance, la personne alcoolo dépendante prenant donc la décision de changer de route, de changer ses habitudes. C’est tout un travail qui peut paraître bien long à ceux qui se portent bien, qui ne souffrent pas de la dépendance.
Réapprendre à vivre avec son conjoint, à avoir de nouvelles habitudes de vie, de nouveaux réflexes, de nouvelles réponses à tout ce qui peut nous faire souffrir, nous contrarier, c’est aussi apprendre à se réjouir sans l’appui de l’alcool.

 Les rechutes permettent de comprendre ce qui doit être changé. Afin d’éviter que ces rechutes se fassent trop fréquentes et trop douloureuses, le changement de direction fait qu’on apprend à éviter les écueils :

– Prendre soin de sa santé.
– apprendre à gérer les émotions.
– Réapprendre à gérer son temps d’une manière très concrète.
– Résoudre les difficultés financières, professionnelles, familiales.
– Régler les problèmes psychologiques, en se faisant parfois
accompagner par un psychologue.

– Prendre quelques décisions : par exemple ne plus aller au bar, ou à la cave, lieu de rencontres mais aussi de consommation d’alcool ; ne plus prendre la responsabilité des alcools à la maison ; pour certains, ce sera la décision d’une vie familiale sans alcool y compris lorsque des amis sont invités. Aussi curieux que cela puisse paraître, décider de vivre sans alcool ne fait pas fuir les amis bien au contraire, mais permet une nouvelle façon de vivre, bien plus authentique.         

Changer de route quand on est malade alcoolique, c’est réapprendre les plaisirs de la vie. Notre circuit de la récompense dans le cerveau a absolument besoin de fonctionner, mais différemment, lui qui fonctionnait de manière anarchique avec l’alcool. Il va s’agir de redécouvrir ce qui fait le quotidien de nos vies ; les joies de la nature, du dessin ou de la peinture, du sport, de la lecture, de la relation autres.

La joie de la conversion en matière d’alcool est le plus souvent au rendez-vous, mais pas toujours : Une dépression masquée par l’alcool, la découverte des différentes conséquences physiques de l’alcool, les douleurs d’une polynévrite, l’impossibilité de parvenir à s’amuser, les fréquentes difficultés sexuelles font qu’il peut exister une désillusion à la suite de sevrage. Il nous faut, accompagnants, soignants, membres de mouvements, aider nos amis à passer ce cap difficile.

Il faut que nous parvenions à ne pas enfermer notre mari, notre femme, notre parent, notre enfant, notre patient dans la souffrance de son passé, afin de lui permettre de vivre en profondeur cette nouvelle vie qu’il a décidé de vivre.

 

François Pépin

Addictologue et diacre au service des Pèlerins de l’Eau Vive