ADDICT ….Témoignage de Marie de Noailles…

 

addict

 « Le 8 mai 1975, je vois le jour, moi Marie Alicia Eugénie Charlotte Blandine, seconde fille du duc et de la duchesse de Noailles. Trente ans plus tard, je choisis la vie. Je m’arrache à l’alcool, à l’herbe, à la cocaïne, à ces dépendances qui, depuis quinze ans, me possèdent et me consument. À moi la libération. Le 29 mars, date de mon retour parmi les vivants, où que je sois, je m’agenouille et je prie Dieu, dont je ne suis pas sûre de connaître le nom. Je m’appelle Marie, j’ai deux anniversaires et une seule vie. Que j’ai failli perdre et choisi de sauver. Je suis née deux fois. »

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                         Jolie jeune femme, issue d’une des plus grandes familles de France, Marie de Noailles découvre la drogue à treize ans, une nuit d’extase et de mauvais hasard. Enfant choyée, drôle, flottante, éperdue de tristesse, elle s’essaye à tous les cachets, à toutes les boissons. A toutes les rencontres.                

                         Pendant des années, elle traverse la nuit parisienne, ses figures, ses âmes damnées, ses secrets. Blonde, dévastée, elle vole, elle ment, toujours plus accro. Une longue chute impossible à arrêter.
A presque trente ans, méconnaissable, usée, Marie de Noailles est placée par sa famille dans un centre au Royaume Uni, qui pratique la méthode « Minnesota ». Une tentative ultime, violente et radicale. Marie change, se sauve, devient à son tour psychologue et soigne désormais des patients, souvent fameux, venant du monde entier pour la rencontrer. Un récit magnifique, intime et littéraire, qui ne perce pas l’énigme de l’addiction mais l’approche, avec pureté et douceur.

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Le témoignage de Marie de Noailles, ex-addict devenue addictologue

             À la voir ainsi, belle, blonde, bronzée, montre Cartier et chaîne de baptême, on lui donnerait le Bon Dieu sans confession. Dans « Addict », Marie de Noailles raconte « l’enfer du décor » : premier pétard à 14 ans, dernière cure de désintoxication à 30 ans. Entre les deux : cocaïne, héroïne, alcool. Elle, préfère dire « produits ». Poly-dépendante, elle a combattu le mal par le mal en devenant addictologue. Maman de deux jeunes enfants, elle soigne aujourd’hui les plus grands (John Galliano a été son patient), mais reste « fragile », décousue, sous la panoplie de jeune fille de bonne famille.

ELLE. Pourquoi raconter votre histoire, maintenant ?
Marie de Noailles. On me l’a beaucoup demandé avant, mais je trouvais ça trop tôt et je n’avais pas envie d’étaler ma vie. Aujourd’hui, ma mère n’est plus là, ça m’a peut-être libérée. J’assume. Tant mieux si je peux aider les autres, changer les « à priori ». Depuis une décennie, en France, on parle beaucoup d’addiction, mais peu de l’après. Une fois qu’on a arrêté, que se passe-t-il ? Moi, je me sentais comme un ovni, je me demandais : comment font les gens pour se lever le matin, travailler, avoir des relations normales avec les autres ?

ELLE. Quel est le message de ce livre ?
Marie de Noailles. La force que l’on a mise à se détruire, à consommer, à mentir, à se cacher, on peut la mettre à s’en sortir. Maintenant que je suis mère, je pense à la manière dont je réagirais si l’histoire se répétait… En général, ça finit mal : en prison, à la morgue, à l’hôpital.

ELLE. Vous venez d’une grande et riche famille où faire bonne figure semble primordial ?
Marie de Noailles. Quand on va mal, on veut tous sauver la face ! Mes grands-parents appartenaient à un autre siècle et mon père aussi. Il a été élevé comme plus personne ne l’est aujourd’hui. Mais j’ai eu la chance d’avoir des parents qui se sont beaucoup renseignés, qui m’ont envoyée dans les meilleures cliniques, je suis devenue le « Guide Michelin » des rehabs [cures de désintoxication, ndlr].

ELLE. Vous parlez d’un vide pour expliquer le manque et l’addiction, d’où vient-il ?
Marie de Noailles. J’ai toujours eu cette hypersensibilité, l’impression que les petites choses de tous les jours me faisaient plus de peine qu’à d’autres, mais je n’ai pas été une enfant battue ! Au contraire, j’ai eu une enfance privilégiée, tant sur les plans matériel qu’émotionnel. Je suis née avec une cuillère en argent dans la bouche et j’ai fini plus bas que terre. Il n’y a pas plus démocratique que l’addiction.

ELLE. A-t-on besoin d’une raison pour être addict ?
Marie de Noailles.
Non, l’addiction c’est bio-psycho-social. Et j’ai compris assez rapidement que savoir pourquoi je consommais n’allait pas freiner cette consommation. Quand j’ai arrêté la drogue, je n’étais plus en danger de mort, mais j’étais pathétique, je buvais, je ne pouvais pas continuer à vivre une heure de plus comme ça, dans cette souffrance émotionnelle. Je n’avais pas envie de vivre, mais je ne savais pas comment mourir. L’addiction n’est pas un choix, c’est une maladie. Et comme la dépression, parfois, ça ne s’explique pas. Je ne me suis jamais dit : je vais perdre quinze ans de ma vie, manquer de mourir et finir en psychiatrie.

 « L’addiction, c’est un suicide qui peut prendre des années »

ELLE. Il y a une scène de viol dans votre livre écrite sans le moindre affect, c’est voulu ?
Marie de Noailles.
À l’époque, je vivais des choses tellement difficiles, ma vie était si chaotique… Je savais que c’était grave, mais je ne l’ai pas vécu comme un traumatisme, j’ai continué mon chemin. Dans les centres où je me suis fait soigner, toutes les femmes avaient des histoires abominables : l’impuissance, le mauvais endroit, le mauvais moment… J’ai même pensé que, dans mon malheur, j’avais eu un peu de chance.

ELLE. Vous semblez étrangère à la scène, anesthésiée, sans estime pour vous-même.
Marie de Noailles.
Ca m’a fait plus de peine dans ce sens-là : je m’estimais donc si peu ? Aujourd’hui, s’il m’arrivait quelque chose de similaire, ce serait un drame. J’ai mis beaucoup de temps à me remettre du mal que j’ai fait à mon entourage et du mal que je me suis fait. Comment ai-je pu m’infliger tout ça ? Je ne le ferais pas à mon pire ennemi. L’addiction, c’est ça, un suicide qui peut prendre des années. On envie ceux qui meurent et ceux qui vivent. On ne sait pas vivre.

ELLE. On est addict à vie ?
Marie de Noailles.
[Rires, le premier.] Oui ! Vraiment. Je suis et serai addict toute ma vie. Et ce n’est pas parce que je suis spécialiste de l’addiction que je suis immunisée. J’ai fait beaucoup d’études, j’ai la connaissance clinique et l’expérience, mais je garde la même fragilité. L’OMS dit qu’on ne sait pas guérir les addictions, on sait les arrêter.

ELLE. Vous avez déjà rechuté ?
Marie de Noailles.
Une sobriété, c’est fragile. On pense que c’est fini, qu’on a tout pris, tout fait, et puis… L’addiction, c’est Docteur Jekyll et Mister Hyde, ces deux personnes vivent en moi, mon but est qu’elles cohabitent. C’est un apprentissage de la vie au quotidien. Je continue à me servir des outils qu’on m’a donnés il y a douze ans : l’humilité, la spiritualité, prendre soin de moi. Sortir ce livre, par exemple, c’est fragilisant. Il ne faut pas que je me perde là-dedans.

ELLE. Vous êtes addictologue, mais qui s’occupe de vous ?
Marie de Noailles.
On dit que les cordonniers sont les plus mal chaussés. Je continue à voir quelqu’un, j’ai un psy, et je participe à des groupes d’entraide. Il y a, d’un côté, mon métier et, de l’autre, mon rétablissement. C’est un mot que j’aime bien. Il y a l’idée de continuité.

ELLE. En France, on vous a abrutie de médicaments, écrivez-vous. En Angleterre, vous avez découvert la méthode Minnesota, dans laquelle le suivi psychologique est assuré par des ex-addicts, et ça change tout, dites-vous…
Marie de Noailles. En France, l’hôpital public, aussi bon soit il, a ses limites. Les médicaments, c’est bien, mais ce n’est pas tout. Même si les choses sont en train d’évoluer. En Angleterre, où j’ai fait une cure de la dernière chance, j’ai été confrontée à d’anciens dépendants devenus psys, capables de me comprendre, de me déjouer, et je me suis dit : « Si eux le peuvent, pourquoi pas moi ? » Aujourd’hui, je rends ce que l’on m’a donné.

ELLE. Vous dites que les addicts mentent, avez-vous menti dans ce livre ?
Marie de Noailles.
Je n’ai pas du tout menti, mais j’ai organisé la vérité. Il y a des choses que je n’ai pas envie de raconter, des gens que je ne souhaite pas exposer. En dépit du proverbe, « on ne peut pas plaire à tout le monde », moi j’ai encore envie de plaire à tout le monde ! Beaucoup de gens me disent : « Tu n’as pas de stigmates. » J’en ai, mais ils ne se voient pas. Tous les addicts ont honte de ce qu’ils ont fait. Je ne m’en suis pas sortie pour que les gens me voient nue. Mais j’ai des cicatrices.

 Addict », de Marie de Noailles, avec Émilie Lanez (Grasset, 156 p.).

Marie de Noailles, ex-addict devenue addictologue…

 Fille du duc et de la duchesse de Noailles, l’avenir se dessine dans la douceur d’un milieu cultivé et aisé pour Marie. Rien -presque- ne laisse présager de sa longue descente aux enfers… Poly-dépendante (drogue, alcool) la jeune femme raconte avec beaucoup de sensibilité l’histoire d’un mal être dont elle sortira victorieuse au bout de 15 ans !

Je m’appelle Marie , j’ai deux anniversaires et une seule vie. Que j’ai failli perdre et choisi de sauver. Je suis née deux fois.

Pour la seconde fille du duc et de la duchesse de Noailles, l’avenir se dessine dans la douceur d’un milieu cultivé et aisé mais néanmoins soumis à l’étiquette de la haute bourgeoisie. Marie plus timide et -fragile- que sa sœur ainée, grandit comme une enfant sauvage dans l’ombre de sa grande tante Anna de Noailles, grande poétesse du 19ème siècle dont elle aime recopier les vers sur ses carnets.

Si elle ressent les premiers signes d’un mal être à 14 ans, elle découvrira à 15 ans son premier « joint » qui agira tout de suite comme un pansement sur son malaise qui s’enracine. Commence alors la course-poursuite après la substance qui lui permettra de se sentir forte, à l’aise, volubile, presque invincible !

Herbe, cocaïne, héroïne, alcool… Vingt ans, jolie et désirée. Des dizaines d’amis insouciants, fêtards : « J’ignore d’où me vient l’argent qui me permet d’acheter mes doses ». Marie, reine de la jet-set parisienne, s’essaye à tous les produits et défie pendant quinze les efforts de ses parents, dont l’amour n’a d’égal que la ténacité, pour la sortir de cet enfer.

A 30 ans la jeune femme usée et méconnaissable « se sauve » enfin avec la méthode Minnesota testée en Angleterre dans une cure de désintoxication.

Au lieu de se battre contre elle-même, la jeune femme va utiliser cette énergie phénoménale qui caractérise les « addicts » pour soigner les dépendances des autres. « Ma personne est ma meilleure publicité » écrit-elle dans ce livre qui n’est pas seulement un témoignage à la fois lucide et sensible, mais aussi une vraie histoire, celle d’une jeune fille hypersensible qui nous a ému et dont il faut tenter de tirer un enseignement : celui de ne pas baisser les bras.

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Quelques extraits choisis…

                      Issue d’un milieu où l’on n’exprime pas ses émotions, la jeune femme souffre enfant de l’incapacité de sa famille à communiquer son amour.

                      Je respecte l’étiquette. Mon grand-père allège l’atmosphère en nous jetant des boulettes de pain à travers la table. Ma mère fronce les sourcils.

                      Jamais je ne demande à ma mère pourquoi son amour est avare de mots.

                      Mais l’amour parental incommensurable a fini par vaincre les démons de la jeune femme.

                     Je leur rends grâce de n’avoir jamais admis l’existence de l’autre moi, celle qui fume, boit et défie la mort. Au nom de leur amour aveugle, je déciderai un jour de sauver ma carcasse et faire triompher celle qu’ils ont obstinément aimée.

                      Son mal-être apparaît dès le plus jeune âge, avec le premier « joint » d’une longue série… Une angoisse me vrille. Comme un poids.

                      Le malaise qui m’habite grandit. Parfois, il m’empêche de respirer. Je suis très mauvaise en classe…

                      Un copain de Julie me propose de tirer sur son joint.

Plus rien ne m’atteint. J’ai trouvé le médicament qu’il me faut. Le monde ne m’écorche plus, il flotte.

                      De cure en famille d’accueil, en passant par l’internement en hôpital, rien n’empêche Marie -en proie à un vide abyssal- de se détruire.

                      Je suis hors de la portée des adultes. Je leur échappe, je suis si loin. Ils me respectent car je les inquiète.

(A l’hôpital) Nous passons notre temps dans la salle commune, où la télévision couvre nos conversations. Les patients sont mélangés sans égard pour leur éventuelle dangerosité.

Je manque. Je ne sais pas toujours de quoi. J’ai tout. Et je suis creuse béante.

Ma vie s’organise autour de cette drogue qu’il me faut prendre souvent.

Des parents qui ne savent plus comment aider leur fille. Ils n’abordent pas mon addiction. Ils ne veulent pas la nommer, comme s’ils redoutaient qu’en la nommant, elle se mette à exister plus encore. »

La guérison enfin… avec la lecture de Drop the Rock, un ouvrage écrit par un collectif de thérapeutes qui la bouleverse. Ce livre non traduit en français, compare la vie à un sac à dos. Chaque épreuve l’alourdit d’une pierre un deuil… Si le marcheur n’apprend pas à saisir chaque caillou de l’existence et à le reposer au bord du chemin, le sac l’écrasera.

Déjà un peu morte lorsque j’ai décidé de naître une seconde fois. Je suis revenue habiter mon corps. Mon corps et ma tête. Mes émotions et ma volonté.

Marie de Noailles est devenue addictologue.

                      J’ai trente-deux ans, ma rage d’addict ne m’a pas quittée, je la reconnais, agrippée au creux de mon ventre. Seulement, elle a changé de proie. Elle ne dévore aujourd’hui que des polycopiés. Vouée à l’insatisfaction, Je m’emplis de connaissances.

                    Mes victoires sont immenses et dérisoires.

Et de conclure : mes diplômes ne me mettent pas à l’abri d’une rechute. Mon cerveau demeure marqué par l’addiction, il s’en souvient, il l’attend, il la désire.

Mes patients. Je sais où leur douleur suinte, où l’infime espoir doit être débusqué puis attisé, je connais les mots qui les ébranle.